mardi 26 janvier 2016

L'Église et le monde

L'Église et le monde allaient leur propre chemin sur les rives changeantes du temps. Le monde chantait un chant assourdissant, et l'Église un cantique ravissant. « Allons, donne-moi ta main, s'écria le monde en liesse, et marche avec moi dans ce chemin. » Mais la fidèle Église cacha ses douces mains, et solennellement répondit : « Je n'en ferai rien. Jamais je ne te donnerai la main, et jamais je ne marcherai avec toi. Ton chemin conduit à la mort éternelle. En tes paroles trompeuses je ne place point ma foi. » « Allons ! marche à mon côté un bout de route, dit le monde avec gentillesse ; le chemin que j'emprunte est très agréable, et le soleil y brille sans cesse. Ton sentier est jonché d'épines, rocailleux et étroit ; le mien est spacieux et sans obstacles. Mon sentier est jonché de fleurs et de rosée ; dans le tien, il n'y a que larmes et souffrances. Mon ciel est toujours bleu, je ne rencontre ni misère ni labeur ; ton ciel est toujours sombre, ton sort c'est le malheur. Mon sentier est spacieux et clair, et la porte est large et haute ; il y assez de place pour que toi et moi nous marchions côte à côte. » Timidement, l'Église s'approcha du monde et lui donna sa main si pure. Le vieux monde la saisit immédiatement et se mit en marche, déclarant dans un doux murmure : « Ta robe est bien trop simple pour me plaire ; je te donnerai des perles pour parure, du velours et de la soie précieuse pour ta gracieuse silhouette, et des diamants pour orner ta chevelure. » L'Église considéra alors la terne blancheur de son vêtement, puis le monde si lumineux, et rougit de honte lorsqu'elle vit se dessiner sur ses lèvres délicates un sourire dédaigneux. « Je vais changer ma robe pour une autre plus luxueuse, » dit l'Église en souriant avec grâce. Elle se défit alors de son vêtement blanc et pur, tandis que le monde lui donnait à la place des vêtements de satin magnifique et de soie éclatante, des roses, des bijoux et des perles de grande valeur ; et elle laissa tomber ses cheveux chatoyants en mille boucles sur son front. « Ta maison est sans beauté, dit le vieux monde orgueilleux, je t'en bâtirai une semblable à la mienne, avec des murs en marbre, des tours dorées et des meubles de style. » Ainsi il lui bâtit une magnifique et luxueuse maison, vraiment belle à regarder. Les fils et les filles de l'Église demeuraient là, brillants de reflets pourprés et dorés. Des fêtes et des spectacles se tenaient en ses portes, et le monde et ses enfants y participaient ; rires, musique et divertissements retentissaient dans cette maison de prières. Elle avait des bancs confortables pour que riches et puissants s'y assoient dans leur splendeur et leur orgueil, tandis que, pauvrement vêtus, les indigents restaient dehors, humblement assis sur le seuil. L'Ange de miséricorde survola l'Église et murmura : « Je connais ton péché ! » L'Église regarda en arrière en soupirant : elle désirait voir ses enfants rassemblés, mais certains étaient au théâtre, et d'autres au bal de minuit, et d'autres encore s'enivraient dans les bars. Il s'éloigna sans bruit. Le monde rusé lui dit galamment : «  Tes enfants ne font rien de mauvais ; ils s'adonnent simplement à d'inoffensives distractions. » Prenant le bras qu'il lui offrait, elle souriait, bavardait, et cueillait des fleurs tout en marchant à ses côtés, alors que dans la géhenne des millions d'âmes immortelles étaient précipitées. « Tes prédicateurs sont trop démodés et trop modestes, dit le monde d'un air méprisant. Je ne veux pas que mes enfants entendent leurs contes effrayants ; ils parlent d'un étang de feu et de soufre, des tourments et des horreurs d'une nuit éternelle, ils évoquent un lieu que l'on ne devrait pas nommer en présence de si délicates oreilles. Je t'en enverrai d'autres, bien meilleurs, raffinés, intelligents et bons vivants ; ils persuaderont les gens qu'ils peuvent vivre comme ils l'entendent, et aller au ciel en même temps. Le Père est miséricordieux, grand et bon, tendre, juste et bienveillant ; penses-tu qu'il ouvrirait le ciel à un enfant, aux autres le fermant ? » Il introduisait donc chez elle maints théologiens de renom, joyeux, érudits et cultivés, et les vieux hommes modestes qui prêchaient la croix de leurs chaires furent destitués. « Tu donnes beaucoup trop aux pauvres, dit le monde, bien plus que tu ne devrais donner. Si les pauvres ont besoin d'abri, de nourriture et de vêtements, pourquoi t'en soucier ? Allons ! prends ton argent et achète-toi des robes magnifiques, de grandes maisons et des véhicules somptueux, des perles et des joyaux, des mets délicats et des vins fins, les plus coûteux. Mes enfants raffolent de tous ces biens, et si leur estime tu veux gagner, tu dois faire comme eux, et dans le même sentier marcher. » L'Église serra son porte-monnaie dans ses mains, gracieusement baissa la tête, et murmura : « J'ai trop donné d'argent, je ferai comme vous avez dit, monsieur. » Ainsi elle ferma dédaigneusement les portes aux pauvres, n'entendit plus les pleurs des orphelins, et se détourna, dans ses robes magnifiques, des veuves qui venaient pleurer sur son chemin. Les enfants du monde et les enfants de l'Église marchaient ensemble, la main dans la main. Seul le maître, qui discerne toutes choses, reconnaissaient les siens. L'Église alors s'assit à son aise et dit : « Je suis riche, je me suis enrichie, et je n'ai besoin de rien, ni de rien faire, sinon rire, danser, et festoyer aussi. » Le monde, sournois, l'entendait ; il jubilait et, d'un ton railleur, se disait à lui-même : « L'Église est tombée, la glorieuse Église ! Sa vantardise et son orgueil sont sa honte ! » L'ange s'approcha du trône de la grâce, et murmura son nom en soupirant. Les saints turent leurs chants d'allégresse, de honte la tête se couvrant. Et, dans le silence du ciel, la voix de celui qui est assis sur le trône se fit entendre : « Je connais tes œuvres, et que tu dis : « Je suis riche », sans comprendre que tu es malheureuse, et misérable, et pauvre, et aveugle, et nue devant ma face. Reviens, et repens-toi, de peur que je ne te jette dehors, et que ton nom je n'efface. » Ainsi, l'Église enfin réveillée se repentit sincèrement, et de sa course mondaine se détourna. Le Christ avait frappé à la porte de son cœur et elle lui ouvrit, comme son amour dans sa poitrine brûlait. Il lui donna une nouvelle robe et pardonna ses péchés. Tous deux s'assirent et soupèrent ensemble ; son trône il partagea avec elle, celle pour qui il avait tant souffert. Ô Église du Christ, écoute la voix de l'Esprit qui t'appelle dans le monde aujourd'hui. Que chacun en tous lieux se détourne du monde, car le monde sera perdu dans la nuit éternelle ; mais celui qui se repent sera sauvé pour l'éternité.

(Matilda C. Edwards)